Il était une fois…
Une femme haïtienne et une huile qu'elle faisait chauffer.
Depuis aussi loin que je me souvienne, ma mère utilisait l’huile Maskriti. Elle la faisait brûler légèrement avant de masser nos ventres quand on avait mal, nos tempes quand la fièvre montait, ou nos cheveux quand ils avaient besoin d’un coup de pouce. À ma naissance, elle était là. Après mes accouchements aussi. Elle a accompagné mes enfants, dès leurs premières semaines, pour enlever les croûtes de lait, renforcer leurs racines et apaiser leur peau.
L'INGRATE
Puis j’ai grandi, et j’ai oublié. Oublié d’où je venais. Oublié les gestes simples. Oublié ce qui m’avait bercée, ce qui m’avait portée. J’ai voulu faire comme il faut. M’aligner. Suivre les routines, les conseils, les produits à la mode. J’ai voulu être cette version de moi que je croyais attendue. Lisse. Forte. Adaptée.
Mais la vie ne laisse pas toujours passer sans secousses. Le stress. Les hormones. Les nuits blanches. Les peines de l’âme que même le corps finit par traduire. Et mes cheveux… c’est eux qui ont parlé les premiers. Ils sont devenus ternes, fatigués, cassants. Comme si eux aussi, ne savaient plus où ils allaient. J’ai tiré, serré, étouffé sous mes foulards trop serrés.
J’ai cherché des solutions partout. Dans les rayons, sur internet, dans les conseils d’autres femmes qui, comme moi, étaient un peu perdues.
Mais rien ne tenait. Rien ne vibrait. J’ai fini par me lasser. À force de ne pas me reconnaître, j’ai tout coupé.
L'HÉRITAGE
Au final, j’avais tout sous mes mains… et je ne le voyais pas. J’étais trop fatiguée pour m’occuper de moi. Trop occupée à tenir. Je massais mes enfants, je les soignais, je veillais sur leurs cheveux, sur leur peau, sur leurs petits corps encore neufs. Je prenais soin de mon mari, de tout le monde, sauf de moi.
J'étais fière de leur chevelure dense, vivante, et pleine de force mais honnêtement je n'avais pas cette volonté pour moi.
Et puis, un jour, mon mari a parlé. On a discuté longtemps, de fatigue, de responsabilités, de ce qu’on donne, de ce qu’on oublie. Et dans cette conversation, j’ai compris que le soin que je cherchais loin était déjà dans mes mains.
Je me suis replongée dans les gestes. Chauffer l’huile entre les paumes. Respirer son odeur fumée. Masser la tête, le cou… comme pour remettre le corps en place avant de remettre les cheveux en place. C’était un retour à moi. Un retour à mon corps. Et rapidement, mes cheveux ont suivi.
Lwil Maskriti n’a jamais été une tendance.
C’est un héritage. Un trésor pour ceux qui prennent le temps de l’apprécier.



